Après la Grande Guerre, le contexte historique est tout aussi incertain que stimulant : le dynamisme économique mais aussi la crise, l'euphorie de la paix retrouvée mais aussi le déchirement produit par cette guerre atroce, les rêves d'un avenir prometteur et moderne mais aussi la crainte des transformations et du déracinement, marquent la période.
La ville de Perpignan poursuit son expansion territoriale au fur et à mesure que les remparts encore existants vont disparaître. Dans le projet de 1925 pour Perpignan, Adolphe Dervaux avait imaginé la complexité de la cité contemporaine et avait prévu les emplacements nécessaires pour les différentes fonctions urbaines.
L'habitat fait l'objet d'une reformulation pour tous les secteurs sociaux et non seulement pour celui des classes aisées comme ce fut le cas au début du siècle. Les architectes seront appelés à dessiner, bien entendu, les hôtels particuliers ou les villas pour les élites locales tenant compte du goût de la période mais aussi les maisons de ville ou les immeubles de rapport pour la petite et moyenne bourgeoisie ou encore les Habitations Bon Marché pour les secteurs populaires.
L'architecture publique constitue le reflet d'une société aux fonctions diversifiées et renouvelées : les institutions économiques, les loisirs et divertissements populaires, les architectures liées à l'émergence de la culture de l'automobile.
Le renouvellement des langages formels de l'architecture détermine une coexistence d'orientations diverses voire opposées : entre l'avant-garde moderniste et le régionalisme identitaire, l'Art déco épuré et sophistiquée trouve aussi sa place. Les déclinaisons de ces différentes orientations tissent la mosaïque multiforme et polychrome des façades urbaines perpignanaises de la période : boulevard Mercader, avenue des Baléares, place Cassanyes.... L'architecture roussillonnaise de la période, représentée par son pavillon régional à l'Exposition universelle de 1937 à Paris, se donne à connaître sur la scène nationale et internationale.
Le tissu socio-professionnel des architectes se développe. Les cabinets d'architecte se multiplient ; ceux de la période précédente - Petersen, Trénet, Montès - servent d'école à toute une nouvelle génération et voient assurée leur continuité : Louis Trénet succède à son père Claudius, Henri Graëll à son maître Petersen. Les architectes qui ont eu accès à une formation académique à Paris ou ailleurs (Louis Trénet, Edouard Mas-Chancel, Raoul Castan, Férid Muchir, parmi d'autres) apportent leur culture savante aux débats et à la pratique locale. Par ailleurs, le collectif d'architectes s'organise autour d'un syndicat professionnel et publie sa propre revue Lo mestre d'obres (1935-1941). L'histoire de l'architecture de Perpignan connaît l'un de ses moments de maturité.
Architectures publiques
Entre utopies et réalités, l'architecture publique d'institutions et d'équipements de la période témoigne de la volonté de se donner une apparence monumentale et moderne. Sont représentées les institutions du monde économique, mais aussi des architectures utilitaires - espaces sportifs, architectures liées à l'automobile, etc. - révélatrices de la période. La crise, puis la guerre, limiteront en bonne mesure cette ambition. Le patrimoine documentaire de la ville nous permet de découvrir, à côté de ce qui a été bâti, ce qui fut imaginé et ce qui a disparu. Les banques, les hôtels, les garages, les cafés constituent des éléments emblématiques d'une scène urbaine qui fait définitivement table rase des héritages historicistes du XIXe siècle. Autant d'architectures que nous regardons aujourd'hui avec la nostalgie de la modernité.
L'habitat ouvrier
Comme partout en France l'habitat populaire de promotion publique accède à la dignité architecturale. La Loi Loucheur de 1928 attribue des moyens chiffrés aux offices des Habitations Bon Marché. Les ensembles HBM construits à Perpignan dans les années 1930 témoignent de cette dynamique politique et de la réception de modèles programmatiques nationaux. La nouvelle extension de la ville au-delà des derniers remparts permettait de remédier au problème posé par le XIXe siècle et jamais résolu : l'habitation populaire.
L'Art déco
L'Art déco est né dans le contexte du renouvellement des arts appliqués intervenu en France dans les années 1920. Il s'agit d'une esthétique sophistiquée et ornementale mais qui abandonne les répertoires historicistes. Les référents seront la culture urbaine moderne, les espaces métropolitains, le mécanisme. Très rapidement, cette esthétique aura aussi une transcription dans l'architecture. Le style paquebot s'impose : l'immeuble imite les grands bateaux, incarnations de la suprématie de la technologie industrielle, architectures à la fois dynamiques, modernes et luxueuses. L'exposition des Arts appliqués de 1925 à Paris donne une reconnaissance institutionnelle à ce courant du goût. A Perpignan, cette esthétique géométrique, simple mais à la fois subtilement sophistiquée, sera adoptée aussi bien dans l'architecture publique que dans l'architecture privée.
Le modernisme
Le modernisme architectural, synthèse de mouvements avant-gardistes internationaux, notamment français, avec Auguste Perret puis Le Corbusier, et allemand autour du Bauhaus crée en 1919 par Walter Gropius, sera représenté à Perpignan. L'ornement est banni, la structure est apparente, l'articulation du plan et l'espace donne naissance à l'expérience esthétique. Raoul Castan appelait dans les colonnes de la revue Lo mestre d'obres à la pluralité de ce modernisme. Le purisme de l'atelier de Louis Bausil de Castan, le fonctionnalisme structurel des architectures en béton nu de Léon Baille, l'influence de Perret dans certaines architectures de Félix Mercader, la réception toujours très personnelle du Style international par Férid Muchir, constituent des réponses locales à cet appel.
Le régionalisme architectural
Le régionalisme architectural participe d'une culture du retour à l'authenticité des valeurs autochtones développée en France à partir de la fin du XIXe siècle. Cette quête du local ou du régional s'articule, surtout après la Première Guerre Mondial, avec l'entreprise de reconstruction d'une identité nationale commune : le terroir est la première pierre de la Patrie. Gustave Umbdestock sera le théoricien et idéologue des régionalismes architecturaux en France. En Roussillon, le représentant premier de ce courant est Édouard Mas-Chancel. Il définira dans les années 1930 un langage architectural réunissant les matériaux locaux considérés traditionnels (galets, terre cuite, tuile, etc.) et le style roman jugé à l'époque fondateur d'une esthétique régionale. Il en ressort une architecture polychrome et pittoresque qui cherche à se démarquer de la nudité du modernisme et qui marquera longuement l'art de bâtir en Roussillon pendant le XXe siècle.